Chanson mon amour
Le titre provocateur de ces quelques lignes n'a pas pour but d'accrocher à tout prix le lecteur à la manière d'une publicité, mais il met bien en évidence le rapport affectif et souvent passionnel que nous entretenons avec une chanson et à fortiori avec son interprète.
Après des décennies de tradition où l'on apprenait à chanter sur les genoux de sa mère ou dans les bancs des églises, les médias, (TV, radio), les supports auditifs (disques, K7, CD, ...) ont fait pénétrer dans chaque famille un style de chansons nouvelles, créant souvent des conflits de générations, des prises de position tranchées, des cultes de la personnalité, des fans-clubs et tout un «commerce musical». L'appui bienveillant de la presse écrite et le matraquage publicitaire ont même permis l'organisation de méga concerts, de véritables messes, où l'on pratique le culte de l'idole qui diffuse dans ses chansons des messages plus ou moins sympathiques. Dans tous les cas, ces messages autant qu'ils sont éphémères, touchent l'auditeur en plein coeur. D'autre part, les moyens électroniques dont nous disposons permettent «la fabrication de chansons», sous entendant par là que la matière fait la mode au détriment des sentiments
Il faut bien sûr nuancer ce tableau pessimiste en constatant, fort heureusement, que des artistes de valeur font partie du paysage chantant de notre temps. Leurs oeuvres, tendres ou engagées, méritent un bout d'éternité.
Les responsables du répertoire des chansons, que ce soit dans nos écoles ou dans nos sociétés chorales sont confrontés à des problèmes de choix de plus en plus aigus. Mon propos est aujourd'hui de m'attarder sur le répertoire enfantin, tout en sachant qu'un parallèle avec le répertoire des adultes peut être partiellement établi.
Situation actuelle dans les classes
Les visites dans les classes, les moyens d'enseignement utilisés, les discussions avec les enseignants, renseignent avec une relative précision sur le répertoire de nos classes du Valais romand.
Il est aussi disparate que contrasté. Rap, rock, populaire, chansons en langue étrangère, tubes: tout est chanté.
A partir de ce constat, j'ai demandé aux collègues leurs motivations par rapport au choix et leur position par rapport au répertoire.
Je vous livre leurs réponses en vrac
«Il faut chanter des chansons actuelles, accompagnées, car les enfants les aiment.
Il ne faut pas chanter des chansons actuelles ; elles déforment le goût des enfants.
Il faut chanter des chansons rythmées. Toutes les chansons devraient être accompagnées car les enfants ont encore des voix non formées
Les chansons dans les livres officiels sont vieillottes.
Je ne veux pas chanter les mêmes chansons que mes collègues.
Il faut chanter des chansons difficiles, cela fait progresser les enfants. Maintenons le répertoire traditionnel.
Il ne faut chanter que des chansons qui plaisent aux élèves.
Les chansons modernes se démodent très vite; il faut les éviter.
Il faut habituer les enfants à chanter à plusieurs voix;
Changeons les paroles de certaines chansons, tout ira mieux».
Le lecteur pourra compléter cette énumération à souhait.
Comment choisir un répertoire de chansons
Cette passion pour la chanson chez la plupart de nos enseignants est certes réjouissante mais ne risque-t-elle pas de nous aveugler un peu et de nous plonger dans une subjectivité de mauvais aloi?
Je voudrais répondre à cette question par une autre interrogation :
- Est-ce moi, l'enseignant, qui n'aime pas la chanson, ou est-ce l'enfant?
Ce qui revient à savoir si nous avons une attitude de «professionnel» (je n'aime pas beaucoup ce mot à la mode), c'est-à-dire si nous arrivons à faire un peu abstraction de notre ego quand nous choisissons une chanson pour les enfants. A partir de cela, il convient d'essayer de définir
1. Le champ d'apprentissage
Il faut envisager l'enfant dans ses différents contextes d'apprentissage: la classe, le choeur d'enfants, le choeur d'ensemble.
Plus le groupe est important, plus la chanson doit tenir compte de la sensibilité des plus jeunes. Je crois qu'il est faux de prétendre qu'une chanson «difficile d'accès» et adaptée à une petite partie seulement d'un ensemble, permettra une expression maximale du groupe entier.
2. Le champ d'application
Même si toutes les chansons peuvent être considérées comme «pédagogiques» certaines doivent être choisies en fonction d'un objectif technique particulier (ex : majeur-mineur, accord do-mi-sol...). Dans ce cas, le choix est restreint mais indispensable.
Il en va de même pour les chansons destinées à être dansées ou mimées.
3. Champ de diffusion
Cela peut être la classe. Dans ce cas, l'interaction maître-élève peut jouer au maximum quant au choix.
Pour un concert, il est intéressant que le public profite d'oeuvres de divers styles.
S'il s'agit d'un spectacle complet, la pluridisciplinarité orientera le choix vers un répertoire plus spécifique.
Et si la chanson doit être interprétée devant un jury, comme c'est encore le cas parfois, il me semble que le choix doit être fait en fonction des enfants d'abord.
Livres officiels
Les documents officiels, disponibles au dépôt du matériel scolaire, contiennent des trésors. Ils ont servi à l'élaboration des «moyens romands».
Toutes ces chansons, choisies pour les qualités musicales et pédagogiques, permettent d'acquérir un répertoire commun. Elles ont aussi l'avantage de n'avoir pas provoqué des coûts élevés en droits d'auteur.
Pourtant, rien n'empêche l'enseignant de puiser dans un répertoire plus récent, pour autant que celui-ci soit mis en lien avec les objectifs de l'éducation musicale.
Libre aussi à lui d'adapter n'importe quelles paroles à des situations diverses.
Faut-il accompagner les chansons (play-back, instruments)?
Cette question vaut bien qu'on s'y attarde un peu. Il est vrai que la chanson accompagnée «sonne mieux». D'ailleurs de nombreux supports existent actuellement, qui proposent des oeuvres intéressantes, qui correspondent aux attentes des enfants. Il est important de les utiliser. L'enseignant «s'il veut éviter de n'être qu'un disc-jockey» veillera à exploiter les chansons en les intégrant aux démarches pédagogiques des «moyens romands d'enseignement de la musique».
L'accompagnement instrumental direct par le maître (guitare, claviers) est souhaité dans la mesure du possible. Chaque année, le DIP propose des cours ad hoc.
Mais, l'enfant peut être rendu créatif en accompagnant lui-même ses camarades avec des instruments à percussion (xylophone, claves). Là aussi, des cours de formation pour les maîtres sont organisés.
Il convient de ne pas oublier que le but principal de la chanson est d'être entonnée n'importe où, à n'importe quelle heure, et que l'accompagnement peut être un frein à la spontanéité naturelle des jeunes interprètes.
Le tableau ci-dessus se veut un résumé de l'utilisation de la chanson, (guide d'éducation musicale ORDP 1989).
Vous y trouverez tout ce que la chanson peut développer chez l'enfant en classe et au-dehors. Du respect des désirs des enfants et de l'intérêt des maîtres, du dialogue entre tous les intéressés va naître cette complicité qui mènera les uns et les autres à la conquête du beau dans la joie (partagée) de chanter des chansons d'hier, d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs.
BOB/JMD Résonances 2008