les 4 saisons
Les Quatre Saisons d'Antonio Vivaldi
Vers 1720 vivait à Venise un prêtre-musicien, à la fois violoniste virtuose, compositeur et impresario, que la couleur de sa chevelure avait fait surnommer Il Prete Rosso, «Le Prêtre Roux», et que ses crises d'asthme empêchaient de dire la messe: c'était Antonio VIVALDI.
Venise était en ce temps-là la patrie de la musique instrumentale, surtout celle destinée aux cordes. Le concerto pour soliste et orchestre était alors la forme musicale la plus «moderne»: par l'émergence du violon principal dans le concerto grosso, ce dernier devenait un «concerto pour violon et orchestre».
Mais de nombreux autres instruments vinrent bientôt relayer le violon en tant que soliste (la flûte, le hautbois, la trompette, le violoncelle,...), tandis que «l'orchestre» (l'ancien ripieno) restait toujours formé d'instruments à cordes.
Antonio VIVALDI (1678-1741)
Vivaldi est né le 4 mars 1678 é Venise, fils d'un violoniste de la chapelle ducale de St-Marc. Directeur musical de l'Ospedale della Pietà, le Conservatoire le plus réputé d'Europe après ceux de Naples, Vivaldi compose toute sa vie pour les jeunes orphelines de cette institution charitable, ne quittant la Ville des Doges que pour des tournées en Italie. On le trouve aussi à Amsterdam en 1737 et enfin, mystérieusement, à Vienne, où il meurt en 1741.
Grand virtuose du violon, Vivaldi était beaucoup plus apprécié. en Italie, comme violoniste et professeur de violon que comme compositeur. Ses nombreux opéras. en particulier, ne furent jamais de grands succès. Par contre ses concertos, encore plus nombreux, acquirent une célébrité internationale grâce à leur originalité d'inspiration. leurs innovations dans le rapport entre soliste et orchestre. leur lyrisme personnel, leur sens des contrastes, influençant le style de ses contemporains dont Jean-Sébastien Bach. Vivaldi est aussi l'auteur de cantates, de sonates et de sinfonie (symphonies) en 3 mouvements qui ont joué un rôle non négligeable dans l'élaboration de la symphonie classique.
La musique du Prêtre Roux est véritablement vénitienne par sa fantaisie, son charme, son sens du rythme et des couleurs. Cependant sa grandeur et la profondeur de son inspiration la placent bien au-dessus de l'ensemble de la production de son époque.
Vivaldi composa ainsi près de 550 concertos pour toutes sortes d'instruments solistes, dans lesquels le violon, son instrument, se taille la part du lion. Dans son recueil Il Cimento dell'armonia e dell invenzione, op. 8, paru vers 1725, les quatre premiers concertos forment un tout s'intitulant Le Quattro Stagioni, «Les Quatre Saisons».
Les Quatre Saisons sont l'œuvre la plus célèbre d'Antonio Vivaldi, unanimement appréciée. Pourle jeune auditeur, un concerto comme Le Printemps est facilement abordable par ses carrures franches, ses motifs mélodiques simples et chantants, sa rythmique incisive. Enfin, par son caractère descriptif cette musique fait volontiers appel à l'imagination.
Mais, ce côté anecdotique ne risque-t-il pas de masquer l'essentiel, c'est-à-dire la musique elle-même?
En partant du Sonnet explicatif qui précède l'œuvre, tentons une approche sensible et plus profonde de cette musique. Dans un deuxième temps, isolons au contraire un thème précis purement descriptif extrait du Printemps, par exemple, et voyons comment les compositeurs l'ont traité à travers l'histoire de la musique: instruments, formes, langage musical...
Le Concerto
- Le concerto est une oeuvre instrumentale pour soliste(s) et orchestre.
- le concerto grosso: un petit groupe d'instruments solistes, le concertino, se distingue du reste de l'orchestre. le ripieno (ou grosso), dans le cadre d'une forme en 3, 4 ou 5 mouvements (avant 1750):
- le concerto pour soliste et orchestre: un instrument unique s'oppose a l'orchestre, dans une forme en 3 mouvements: Vif-Lent-Vif (de 1700 à nos jours).
- Les deux genres ont donc coexisté pendant plusieurs décennies et de grands compositeurs comme Vivaldi, Bach et Haendel les ont illustrés tous deux avec bonheur.
- L'écriture du concerto, en faisant tour à tour s'opposer et s'unir le(s) soliste(s) et l'orchestre, traduit bien à la fois les idées de rivalité et d'entente mutuelle contenues dans le mot «concerter ».
musique descriptive ?
- Nous pouvons d'abord lire le Sonnet liminaire du Printemps. N'oublions pas d'expliquer quelques mots : Zéphyr, le chevrier, la musette, les nymphes.
- Ecoutons Le Printemps en entier. Comment Vivaldi a-t-il traduit le poème en musique? Essayons d'abord de trouver la répartition des vers en fonction des mouvements: cf. fiche analytique.
- Etablissons à présent la correspondance entre le texte et le déroulement de la musique dans le premier mouvement par exemple:
1' MOUVEMENT: ALLEGRO |
|
Voici le printemps, |
2 motifs, a1 et a2 par le tutti forte |
que les oiseaux en fête Saluent de leurs chants joyeux, |
couplet à 3 violons sans basse |
retour du 2e motif, a2, ou refrain véritable |
|
Tandis que les sources, aux souffles du Zéphyr, Coulent avec un doux murmure |
couplet: motif en ondulations, piano |
retour du refrain, a2 |
|
Couvrant l'air d'un noir manteau de nuages, Arrivent les éclairs et le tonnerre qui annoncent la saison nouvelle |
couplet: tutti en trémolos et traits agités au soliste |
retour du refrain, a2 |
|
Lorsque cessent les grondements, les oiseaux reprennent leur concert harmonieux |
couplet à 3 violons sans basse |
retour du 1" motif a l déformé, épisode au violon soliste et retour conclusif du 2e motif, a2. |
· Amenons les enfants à décrire avec plus de précision les éléments musicaux de ce mouvement: comment les violons traduisent-ils les chants d'oiseaux, le murmure des eaux? Expliquons les termes: tremolo, gamme, arpège, trait, virtuosité, solo, tutti...
· Si nous comparons les deux colonnes ci-dessus, que remarquons-nous ?
- certaines parties de la colonne de droite n'ont pas de correspondance à gauche: le retour périodique du refrain a2, le dernier épisode soliste et la conclusion;
- à quoi pouvons-nous rattacher la colonne de gauche? à une forme-rondo (refrain-couplets) assez libre, inexistante dans le poème: la structure musicale prime donc sur l'intention picturale;
- la musique a donc une vie propre indépendante du but descriptif.
· Ecoutons à nouveau le 1" mouvement en essayant d'oublier le poème et parcourons le chemin inverse: essayons d'imaginer tout à fait autre chose en rapport avec elle: que nous inspire cette musique? Ecrivons un poème ou un texte en prose, ou bien faisons un dessin inspiré par cette musique. Nous pouvons même imaginer des jeux scéniques ou d'expression corporelle.
· La musique de Vivaldi dépasse donc de loin la simple illustration de ce qui se trouve dans les vers, puisqu'elle est capable d'inspirer des réalisations aussi différentes.
· Ecoutons maintenant l'une des autres Saisons sans révéler le poème, les enfants ayant la même instruction: ils ne pourront donc cette fois être influencés par le texte précédemment lu. Comparons et commentons les résultats obtenus.
- Les impressions musicales peuvent-elles toujours être traduites par des mots ? Par exemple, si l'on écoute le mouvement lent de l'Automne, comment trouver une description verbale qui rende véritablement compte du sentiment ressenti?
- Conclusions :
- la poésie nous aide à aborder la musique,
- la musique a un pouvoir émotif indépendant de toute image extra-musicale,
- il existe un langage musical qui a ses lois propres,
- le génie de Vivaldi arrive à concilier suggestions poétiques et musique pure.
Musique descriptive !
Choisissons un thème évoqué dans Le Printemps: les chants d'oiseaux, par exemple. Quels sont les principaux compositeurs qui l'ont traité dans l'histoire de la musique? Janequin, Vivaldi, Rameau, Beethoven, Wagner, Ravel, Messiaen...
Ecoutons dans quelques-unes de leurs oeuvres les extraits où apparaissent des «chants d'oiseaux»:
- Janequin: Le Chant des Oyseaux (tous les couplets) Beethoven: 6e symphonie,< Pastorale» (second mouvement: «Scène au bord du ruisseau»)
- Ravel: Ma Mère l'Oye: «Le Petit Poucet», pour orchestre Messiaen: Oiseaux Exotiques, pour petit ensemble d'instruments
- François-Bernard Mâche: Korwar, pour clavecin et bande magnétique.
Quels sont les moyens utilisés par ces compositeurs pour obtenir ces résultats?
- Janequin: imitation des cris d'oiseaux par la voix humaine par le biais des onomatopées
- Beethoven: emploi des bois (flûte, clarinette, hautbois) Ravel: notes harmoniques jouées par le violon, doublées par le piccolo
- Messiaen: notation la plus précise possible des chants d'oiseaux et emploi de divers instruments. dont les Ondes Martenot. et de leurs combinaisons originales
- Mâche: prise de son de véritables chants d'oiseaux (Kenya).
En quoi peut-on dire qu'il y a une évolution? Situons Vivaldi par rapport à ces exemples: l'imitation de la nature y est encore lointaine, même dans le mouvement de L'Eté: elle obéit à une sorte de «convention théâtrale».
Audition des Quatre Saisons
Ecoutons une fois encore Les Quatre Saisons et jouissons du plaisir que procure cette musique.
Les quelques notes suivantes nous amèneront à une connaissance plus approfondie de l'ensemble de l'oeuvre.
Les Quatre Saisons se composent de 4 concertos pour violon et orchestre, peignant chacun une saison et se divisant en trois mouvements: Allegro - Adagio (ou Largo) - Allegro (ou Presto). Seul le premier présente une exception pour le 3e mouvement (Danza Pastorale). La forme des mouvements est toujours à peu près la même: une alternance libre de refrains et de couplets pour les deux mouvements extrêmes et une coupe binaire ou en un seul volet pour le mouvement central.
Chaque concerto est accompagné d'un «sonnet explicatif» qui précise l'intention descriptive de l'auteur. (voir dessous)
- Dans Le Printemps, nous assistons à l'éveil d'une nature idyllique, à un orage. puis au sommeil du chevrier sur le pré fleuri, enfin à la danse des nymphes et des bergers au son de la musette. L'Allegro initial voit la prépondérance du violon principal contestée par les interventions de deux autres violons («chants d'oiseaux»), mais le soliste se rattrape dans la fraîche mélodie du mouvement lent et les soli du finale.
- L'Eté est un chef-d'oeuvre de suggestion musicale, «impressionniste» avant la lettre. L'homme et ses bêtes y souffrent de la chaleur; les oiseaux chantent pourtant. C'est en vain que le paysan cherche le sommeil, car le tonnerre se fait entendre dans le lointain et des insectes le harcélent. Un orage terrible s'abat alors, détruisant les récoltes. Dans ce concerto, la musique se fait à chaque instant complice du texte, tout en dépassant les effets poétiques par la portée symphonique de l'écriture musicale.
- L'Automne fait se succéder deux «tableaux» distincts: la fête villageoise après la vendange (danses, ivresse) et la chasse à courre. Le 2e mouvement sert de conclusion à la première scène puisque les buveurs s'y endorment profondément. Cette seconde peinture du sommeil est aussi immobile, contemplative et «brumeuse» que celle du Printemps était aérienne et fluide. Le 1e, et le 3e mouvements font alterner le rythme entraînant des refrains avec la fantaisie et la virtuosité des couplets.
- L'Hiver est aussi constitué de deux «scènes». Mais ici la seconde est au centre de l'ceuvre, car le 3e mouvement nous réintroduit dans le tableau initial: courses, glissades, vent glacial, tremblements, etc... y sont autant de prétextes à un grand déploiement de virtuosité instrumentale de la part du soliste comme de l'orchestre. Le Largo nous repose par sa paisible et belle mélodie, accompagnée par une riche superposition discrètement suggestive.
conclusion ...
Nous pouvons généraliser la présente démarche à toute autre oeuvre de musique descriptive (la référence à un texte poétique n'étant bien sûr pas toujours possible), comme par exemple:
Haydn: Les Saisons; Borodine: Dans les steppes de l'Asie Centrale; Saint-Saëns: La Danse macabre; Liszt: Mazeppa; Respighi: Les Pins de Rome... Rappelons aussi Le Chant des Oyseaux (Janequin) et Ma Mère l'Oye (Ravel) cités plus haut.
Sur le thème des saisons, nous pouvons aussi concevoir une autre démarche s'appuyant sur la créativité des enfants (comment pouvons-nous évoquer le printemps avec nos voix, nos instruments, nos corps?), ou monter une des courtes pièces de Jos Wuytack sur les saisons, pour voix, flûtes à bec et petits instruments à percussion (Ed. Schott Frères), bien adaptées à une utilisation en classe, et auxquelles correspondent les disques «Musica Poetica» - Hiver, Printemps, Eté - (Ed. Harmonia Mundi).
les «sonnets explicatifs» des Quatre Saisons de Vivaldi
le printemps
Voici le printemps, que les oiseaux en fête
Saluent de leurs chants joyeux,
Tandis que les sources, aux souffles du Zéphyr,
Coulent avec un doux murmure.
Couvrant l'air d'un noir manteau de nuages,
Arrivent les éclairs et le tonnerre qui annoncent la saison nouvelle
Lorsque cessent les grondements, les oiseaux
Reprennent leur concert harmonieux
Puis, sur le joli pré fleuri,
Au charmant murmure du feuillage,
Le chevrier sommeille, son chien fidèle à côté de lui
Au son de la musette rustique
Dansent nymphes et bergers, dans l'aimable demeure
Du printemps qui parait dans toute sa splendeur.
l'été
Pendant cette ardente saison, où flamboie le soleil
L'homme languit, ainsi que les troupeaux, et les pins sont brûlants.
Le coucou retrouve sa voix. Des le matin,
La tourterelle roucoule et le chardonneret chante.
Le Zéphyr souffle doucement, mais tout à coup,
Borée cherche querelle à son voisin;
Le berger déplore son destin,
Et craint le violent orage qui menace.
La peur des éclairs et du tonnerre
Prive de repos ses membres fatigués.
Et des essaims furieux de mouches et de moucherons le harcèlent.
Hélas! Ses craintes ne sont que trop fondées.
Le ciel tonne et fulmine, la grêle
Brise la tête des épis et abat les graines.
l'automne
Le paysan célèbre par des chants et des danses
Le plaisir d'une heureuse récolte.
Plus d'un, éméché par la liqueur de Bacchus,
Termine ses ébats par le sommeil.
La saison, la douceur de l'air qui vous comble d'aise
En invitent beaucoup à se livrer
Au plaisir d'un sommeil délicieux,
Si bien qu'un chacun délaisse chants et danses.
Des l'aube, les chasseurs s'en vont
Avec cors, fusils et chiens.
Le gibier fuit ils en suivent les traces.
Effrayée, harassée par le vacarme
Des fusils et des chiens, la bête blessée
Essaie de fuir, languissante; mais elle meurt épuisée.
l'hiver
Se morfondre et trembler dans l'ombre glacée,
Au souffle sinistre d'un vent horrible;
Courir, taper des pieds à chaque instant;
Claquer des dents, tandis qu'il gèle à pierre fendre;
Passer devant le feu des jours paisibles,
Tandis que dehors, la pluie tombe à verse;
Marcher sur la glace et, à pas lents,
Par crainte d'une chute, avancer avec prudence;
Courir, glisser, tomber à terre;
De nouveau courir vite sur la glace
Jusqu'à ce qu'elle se rompe et s'entr'ouvre;
Entendre s'élancer de leurs portes d'airain
Le Sirocco, Borée, et tous les vents en guerre,
Voilà l'hiver, qui cependant n'est pas sans joies.